Article 1
RÉCIT DE VOYAGE ET D’ENSEIGNENT A TOULOUSE
Mai - 2024
Toulouse a été la première étape de mes voyages d'enseignement cette année. La retraite méditative s'y est déroulée du 1er au 5 mai, soit 5 jours. J'ai quitté le monastère principal en Californie du Sud le 28 avril pour me rendre à Toulouse le 29. Toulouse (France) n'ayant pas de vols longue distance, j'ai dû transiter par l'aéroport de Francfort (Allemagne), puis prendre un petit avion pour m'y rendre. Arrivée chez Mme Minh Anh, la responsable de la sangha, j'ai eu droit à une journée de repos, puis dans l'après-midi du 30 avril, nous sommes partis pour Moissac, où se tenait la retraite annuelle. Ce lieu était autrefois le monastère d'un ordre de religieuses qui vivaient en retrait, sur une haute colline aux pentes rocheuses, aujourd'hui devenu un lieu de villégiature pour les touristes. Lorsque je suis arrivée au centre de Moissac, un certain nombre de méditants étaient déjà là, tout le monde se saluait joyeusement, certains méditants n'arrivant que le lendemain matin. Après le dîner, la responsable de sangha a discuté avec les pratiquants des règles et du programme de la retraite de méditation de cinq jours.
Plusieurs méditants de la sangha de Paris sont venus participer, M. Tam Hy spécialisé dans la photographie, Mme Dieu Tri, Mme Ha, bien que plus âgées, sont toujours enthousiastes pour la pratique, M. Nhat Hoa est venu renforcer le travail de traduction. L'interprétation est un travail important car chaque année, il y a plus de méditants francophones que de méditants vietnamiens. Et les jeunes pratiquants vietnamiens sont meilleurs en français qu'en vietnamien, ils ont donc aussi besoin d'écouter l'enseignement en français. À la sangha de Toulouse, M. Tâm Minh est déjà chargé de la traduction, mais il traduit à la fois du vietnamien au français et, parfois, du français au vietnamien. Ainsi les deux traducteurs, Nhat Hoa et Tam Minh, devaient se relayer, après chacune de mes présentations en vietnamien.
Cette année, j'ai utilisé PowerPoint, de sorte que les leçons ont été projetées sous forme de diaporamas et que les méditants ont pu voir clairement les points principaux. Cependant, comme je travaillais en vietnamien, il m'est arrivé d'annoter certains termes en anglais et non en français, ce qui n'était pas parfait. J'ai ensuite envoyé tous les sujets en PowerPoint à M. Tam Minh pour qu'il les traduise en français afin de faciliter la révision. J'ai également essayé d'éditer les conférences bilingues enregistrées pour les diffuser ensuite aux méditants de Toulouse.
Le contenu de la retraite de cette année est principalement un résumé des thèmes centraux du zen bouddhiste, de la première à la dernière étape. Chaque année, la retraite accueille de nouveaux participants, mais la plupart d'entre eux sont des méditants chevronnés, qui ont parfois 10 ou 15 ans de pratique ou plus. L'enseignement devait donc répondre aux exigences de chaque niveau d'apprentissage. À Toulouse, les méditants francophones sont toujours les plus nombreux, majoritaires, par rapport à d'autres sanghas en Europe, où les Suisses, les Français et les Allemands ne sont qu'une minorité. J'ai aussi l'impression subjective que ces méditants ont besoin d'explications claires, précises et scientifiques sur le Dharma et la pratique.
Habituellement, lors des retraites, je ne cherche pas à connaître la formation, la carrière professionnelle ou le statut social des méditants. Cependant, lorsqu'il y a un nouveau participant, le bureau de l'association m'informe parfois de certaines particularités le concernant. C'est le cas, par exemple, de Mme Dieu Tri, médecin à la retraite et méditante expérimentée de Paris. Ou encore de cette docteure vétérinaire qui participe régulièrement à la retraite depuis plusieurs années. D'une silhouette particulièrement élégante et fine, elle a des yeux clairs, un sourire éclatant, des cheveux platine particulièrement courts, une écoute remarquable et attentive, et une pratique sérieuse. C'est le cas aussi d’un jeune médecin français qui était déjà venu l'année dernière mais que je n'avais pas remarqué. Cette année, il est venu accompagné de sa mère, tous deux doux et calmes. Alors que j'expliquais quelques données scientifiques sur le cerveau en rapport avec le zen et la façon dont la pratique du zen affecte la santé, j'ai remarqué que le médecin hochait légèrement la tête. J'ai ressenti un peu de joie et de gratitude envers mon maître. Il avait apporté la lumière des neurosciences pour éclairer la voie du bouddhisme zen, une voie qui était vague pour moi.
Quant au contenu de la pratique, il est toujours le même, comment pourrait-il y avoir d'autres thèmes plus récents ? Concernant la pratique, il s'agit toujours d'utiliser tous les sens pour entrer en contact avec l'objet, avec la seule connaissance, et même lorsque l'on est obligé de s'exprimer par la parole, c'est nécessairement avec véracité et objectivité. Il est important de réaliser que notre esprit est clair, calme et silencieux, objectif, pendant la méditation ou à chaque instant de la vie quotidienne.
Un mental clair est libre de toute souillure, sans avidité, colère ou ignorance, résultat du respect des préceptes (Śīla).
Un mental calme, sans distraction ni attachement, c'est la stabilisation (Samādhi).
Un mental objectif, sans parti pris, sans plaisir ni douleur, c'est la Sagesse (Prajñā).
En fait, ces trois qualités ne font qu'une. C'est le mental vrai, et ces trois qualités existent en même temps.
Pendant cette retraite, je n'ai pas approfondi les sujets de Prajñāpāramitā, mais je me suis plutôt concentrée sur la révision. Et j'ai gardé pour le dernier jour de la retraite un thème récapitulatif couvrant l'ensemble du bouddhisme. Il peut être considéré comme une introduction à une méthode de pratique simple mais profonde, que l'on peut pratiquer tout au long de sa vie, et dont la profondeur dépend des prérequis de chaque pratiquant, de son degré de sagesse et de l'intensité de sa pratique. C'est le sujet du Dharma. Je rappellerais brièvement les principales idées sur ce sujet.
Dhamma (Pāli) / Dharma (Sanskrit) et Dhammā / dharmā (au pluriel).
Je classe provisoirement 3 types de significations du terme Dharma.
1) Les vérités éternelles et immuables qui régissent l'univers et les hommes, du passé au présent et pour toujours dans l'avenir. Il s'agit de lois naturelles, de lois physiques existant en elles-mêmes. Le Bouddha les a clairement identifiées et nous les a expliquées.
2) Les méthodes et modes de pratique expérimentés et présentés par le Bouddha pour nous guider dans la pratique.
3) Tous les phénomènes du monde, collectivement appelés dix mille dharmas (ou Dhammā, au pluriel).
Ci-dessous, une analyse plus détaillée de ces 3 significations.
1- Le premier sens du terme Dharma est celui des vérités qui régissent le monde. Ces vérités existent lorsque le monde existe. Comme le monde est formé par des causes et des conditions, il est perpétuellement en train de changer, de se transformer et de disparaître puis de se combiner avec d'autres causes et conditions pour former d'autres phénomènes, avec des noms différents. Par conséquent, tous les phénomènes du monde ont un ou plusieurs noms différents, mais l'essence de chaque phénomène ou de chaque nom n'est pas stable, elle est toujours changeante, en mouvement, et devient plus tard quelque chose d'autre. Avec nos sens, nous savons qu'il existe des phénomènes qui sont changeants, impermanents et qui se transforment sans cesse. En d'autres termes, la nature des phénomènes est vide, complètement vide, illusoire, absolument instable. Les personnes dotées de sagesse s'en rendront clairement compte, leur mental n'est attaché à rien dans la vie, devenant ainsi immobile : leur mental est ainsi, tout comme le paysage extérieur. Les Patriarches distinguent sommairement deux niveaux de vérités : les vérités conventionnelles selon le point de vue phénoménologique et les vérités ultimes selon le point de vue ontologique.
- Les Vérités conventionnelles comprennent : l'impermanence, la mutabilité, la souffrance, le non-soi, la coproduction conditionnée interdépendante, le cycle incessant de la naissance et de la mort, le karma.
- Les Vérités ultimes comprennent : la Vacuité, l’Illusion, l’Ainsité, le caractère d'égalité dans la bouddhéité de chacun, le Nirvana.
Toutes ces vérités sont objectives, ne sont pas créées par les humains, ne sont pas établies par le Bouddha, existent par elles-mêmes depuis le commencement jusqu'à l'infini, contrôlent l'univers entier et les humains. Tous les phénomènes du monde se créent, se transforment, et finalement disparaissent en devenant d'autres choses (lorsque de nouvelles causes et conditions apparaissent, NDT).
2- Le deuxième sens du terme Dharma est celui de méthodes de pratique permettant de comprendre et d'appliquer ces vérités objectives. Le but est d'avoir une compréhension correcte, un esprit paisible et harmonieux, une bonne santé et une vie familiale et sociale meilleure et plus sûre. En ce sens, le Dharma a été expérimenté et créé par le Bouddha pour expliquer de manière appropriée, en fonction d'innombrables prédispositions différentes des êtres sensibles. C'est pourquoi, dans les écritures bouddhistes, il existe de nombreuses façons de pratiquer, nous pouvons dire qu'elles sont innombrables. Ainsi, les patriarches du courant progressiste ont dit plus tard qu'il y avait 84 000 méthodes de pratique.
Essayons d'énumérer les modes de pratique les plus courants :
- Les trois enseignements : Préceptes (Sila), Stabilisation du mental (Samadhi), Sagesse (Prajña)
- Les trois perspicacités : dans l’écoute (suta-maya pañña), dans la réflexion (cinta-maya pañña) , et dans la pratique (bhavana-maya pañña)
- Contemplation, Samatha, Samadhi, Sagesse
- Les quatre fondements de la pleine conscience (Satipatthàna) : le corps, les sensations, le mental, les phénomènes mentaux
- Les Quatre Nobles Vérités : la souffrance, l’origine de la souffrance, la cessation de la souffrance, la voie de la cessation de la souffrance
- Les Quatre bases du pouvoir spirituel : Souhait ardent, Contemplation, Stabilisation, Sagesse
- Les Sept facteurs de l'éveil : l’attention, l'investigation, la persévérance, le calme, la joie, la stabilisation du mental et l'équanimité
- Le noble sentier octuple : la compréhension juste, la pensée juste, la parole juste, l'action juste, les moyens d'existence justes, l'effort juste, l'attention juste, la stabilisation de l’esprit juste.
- Le discours sur la destruction du désir : réaliser l'impermanence des sensations
- Le sutra Mahà-Assapura.
- Le sutra Mahāparinibbāṇa : chapitre « Les sept conditions qui conduisent à la croissance, pas au déclin ».
- Et dans presque tous les sutras, il y a toujours un dharma à apprendre et à pratiquer.
D'un point de vue plus général, les méthodes de pratique sont présentées par le Bouddha en fonction de la prédisposition de chaque pratiquant, de sorte que ces méthodes sont des vérités conventionnelles, relatives et limitées, et non des vérités objectives, universelles et éternelles au premier sens du Dharma.
3- Dharma au troisième sens, au pluriel : dhammā/dharmā (dhammas/dharmas en anglais). Les dharmas sont des phénomènes du monde. En d'autres termes, les dharmas sont tout ce qui existe autour de nous. Selon les écritures bouddhistes, les dharmas sont constitués de 18 éléments. C'est-à-dire :
- Les 6 sphères des sens internes : les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit
- Les 6 sphères des sens externes : les objets visuels, les sons, les odeurs, les goûts, les objets tangibles et les phénomènes mentaux
- Les 6 consciences : la conscience visuelle, la conscience auditive, la conscience olfactive, la conscience gustative, la conscience corporelle, la conscience psycho-mentale
En bref, dharmā se compose de deux domaines : nāma (les phénomènes mentaux) et rūpa (les phénomènes physiques). Nāma est quelque chose qui relève du mental, de l'esprit ou de l'immatériel. Rūpa est quelque chose de physique, ayant une forme, une couleur perceptible par les cinq organes sensoriels (yeux, oreilles, nez, langue, corps). Nāma et rūpa sont des dharmas conditionnés, c'est-à-dire créés par de nombreuses conditions (d'où l'interdépendance de tous les phénomènes conditionnés), de sorte que les dharmas sont également appelés « choses conditionnées ».
Après avoir présenté trois sens différents du terme Dharma dans le bouddhisme, j'ai posé une question qui constitue la partie importante de la synthèse à la fin de la retraite. Cette question est la suivante :
« Pourquoi trois contenus aussi différents sont-ils présentés en un seul mot, Dharma/dhamma ? »
Les méditants de la retraite ont donné de nombreuses réponses, toutes partiellement correctes. Grâce à ces réponses, nous pouvons connaître le niveau de réflexion et de compréhension du pratiquant. J'ai également profité de l'occasion pour former les méditants à réfléchir davantage à l'enseignement, c'est-à-dire à appliquer le processus « Écouter-Réfléchir-Pratiquer », qui est également la première étape de la pratique consistant à cultiver son propre trésor de sagesse, même s'il ne s'agit que de clarté d'esprit grâce à la contemplation, l'observation et la réflexion. En même temps, il s'agit aussi d'entraîner les méditants à être capables de parler avec assurance devant un public, ce qui est la première étape dans l'art d'expliquer le Dharma.
Je résume maintenant la réponse générale à la question ci-dessus.
D'un point de vue ontologique (sens 1), les vérités objectives sont informes et invisibles aux sens humains. Mais elles ont toutes des fonctions, des usages. Elles se manifestent donc sous la forme d'apparences, de sons, d'odeurs, de pensées et d'émotions, temporairement appelés phénomènes du monde (sens 3). Nous pouvons également dire qu'il s'agit sommairement du processus « Nature - Forme - Fonction ». Ainsi, le premier sens du Dharma concerne la nature, le troisième sens concerne les phénomènes (la forme). La nature et la forme sont deux mais aussi une, inséparables, ni identiques ni différentes. La nature est le côté profondément caché, la forme est le côté clairement exposé. La nature est réalisée par la sagesse, la forme est aperçue par les sens.
Mais comment la reconnaître ?
C'est le rôle du Dharma (deuxième sens). Nous vivons dans le monde, chaque jour en contact avec des milliers de choses à travers les 6 sens. S'il n'y a pas de moyen de contrôler l'esprit, celui-ci sera confus, fluctuant, trop attaché, tantôt heureux, tantôt triste. Ainsi, les phénomènes du monde (troisième sens) sont des objets concrets sur lesquels nous devons pratiquer, observer, étudier et méditer (deuxième sens). Progressivement, nous réalisons que leurs caractéristiques les plus visibles sont l'impermanence, l'interdépendance de tous les phénomènes conditionnés, à partir desquelles nous pouvons réaliser ensuite la nature vide et illusoire du monde, et enfin, l’état d'immobilité du mental et le caractère d'égalité dans la bouddhéité de chacun (premier sens).
Je n'ai fait que vous donner des suggestions dans cet enseignement. Si certains voient plus profondément encore, c'est grâce au trésor de sagesse propre à chacun.
Après la clôture de la retraite de 5 jours par un cadeau inestimable du Dharma, j’ai pris l’avion pour Paris.
Monastère central, le 7 juin 2024
TN
Source (en vietnamien) : https://tanhkhong.org/a4223/ni-su-triet-nhu-bai-1-ky-su-chuyen-du-hoatoulouse-5-2024
Traduit en français par Marc Giang, relu par Bùi Phương Trâm.