UNE VUE MERVEILLEUSE
Depuis de nombreuses années, je vis ici, au Monastère principal. Je passe souvent mes journées assise dans une pièce spacieuse et aérée, d'où je peux observer tout le jardin environnant à travers les baies vitrées. D'ici, j'ai également une vue d'ensemble sur le long chemin qui mène au portail du monastère. Ainsi, quiconque qui conduit jusqu’au monastère et se tient devant le portail est clairement visible. Ma tâche principale consiste simplement à réécouter les enseignements que j'ai donnés lors des retraites et à les corriger si nécessaire avant de les publier pour que les participants aux cours puissent les réécouter pour réviser. En outre, il m'arrive aussi de noter les nouvelles découvertes que j'ai faites afin de les partager avec ceux qui les lisent. C'est tout. Ma vie est simple et paisible ainsi, bien qu'il existe de nombreuses associations de méditation et qu'elles soient dispersées dans des endroits éloignés. Mais elles sont déjà toutes organisées, ses méditants connaissent la voie de la pratique. Ils savent comment pratiquer et s'entraînent de manière autonome.
Je travaille toujours sur l'ordinateur et je porte des lunettes. À force de les porter et de fixer l'écran en continu, mes yeux finissent par se fatiguer. Souvent, j’enlève mes lunettes et regarde au loin vers le jardin, où se trouvent les plantes d'ornement, les fleurs et leurs feuilles vertes. Ce sont les mêmes plantes verdoyantes toute l’année : tout près le poivrier centenaire qui offre une ombre fraîche, derrière lui, l'ochna aux fleurs jaunes dorées. Viennent ensuite les feuilles vertes des jeunes poivriers, les arbres fruitiers et les conifères, dont les contours se dessinent avec force sur le ciel bleu parsemé de quelques nuages blancs. Bien qu'il s'agisse de la même vue, elle est différente à chaque fois que je la contemple. Est-ce qu'elle se modifie elle-même ou est-ce que mes yeux ont changé, peut-être que mon esprit a changé? Aujourd'hui, je souhaite partager avec vous cette vision.
Ce matin, il fait chaud et ensoleillé, le ciel est vaste et d’un bleu clair, les fleurs d'ochna s'épanouissent d'un jaune éclatant derrière le rideau vert des feuilles de poivrier qui flottent au vent. "Ce qui est à cet instant" est silencieux, naturel et paisible. C'est toujours comme ça, une vie insouciante, comme s'il n'y avait simplement rien à dire. Elle s'arrête avec insouciance lorsque quelqu'un la regarde, elle semble s'arrêter tranquillement devant les yeux du spectateur.
Hier, le ciel était gris, pluvieux et venteux. Le vent soufflait fort, faisant bouger les branches et les feuilles du poivrier. Les fleurs d'ochna pendaient lourdement, pleines d'eau, mais elles ne tombaient pas. Puis aujourd'hui, le soleil brille, sa lumière réchauffe le ciel et la terre. Les arbres et les feuilles s'étirent pour s'imprégner de la lumière et de la chaleur du soleil. Ils sont purs, frais et éclatants. Le temps change, la nature aussi. Après la pluie vient le soleil, après le soleil vient la pluie, la nature reste simplement sereine. Si le soleil brille, la nature fait le plein de chaleur, s'il pleut, la nature accueille la pluie. Le jour elle est active, la nuit elle se repose. Le monde entier se meut harmonieusement, tourne et circule doucement dans un rythme équilibré et magnifique. Est-ce là ce que le Bouddha a appelé la "Loi de l'interdépendance" (Idappaccayatā) ?
Toutes les choses dépendent les unes des autres ; pour exister, elles doivent donc être interdépendantes. Si une chose va de travers, les autres choses vont également de travers, jusqu'à ce qu'elles se retournent d'elles-mêmes dans la bonne direction ou qu'elles se terminent d'elles-mêmes pour devenir un autre phénomène.
Nous appelons provisoirement cette observation Anupassanā : observation de l'univers afin de reconnaître l'impermanence, la coproduction interdépendante conditionnée. C'est la sagesse qui perçoit "Ce qui est à cet instant" (Vipassanā).
Au moment de cette prise de conscience, nous percevons l'objet tel qu'il est à l’instant, nous reconnaissons son caractère impermanent, son principe "de cause à effet" et nous percevons que notre esprit n'a pas non plus de pensées malveillantes ou mauvaises à ce moment-là, même en réfléchissant longuement sur le Dharma. L’esprit est pur, calme, objectif et empreint de sagesse. Cela signifie qu’il se sépare des désirs, des pensées nuisibles qui ne favorisent pas le bien-être. C'est le mental vrai. Il est calme, imperturbable et se détache de la célébrité, de la richesse, de la position sociale, de la beauté physique et des plaisirs de la vie. Nous appelons provisoirement cet état d'esprit Samatha ou Samādhi ; ou encore "face aux phénomènes, l’esprit reste sans attachement’’ dans la pratique de la méditation Zen.
En même temps, nous réalisons qu'en observant objectivement et silencieusement le paysage, nous sommes conscients de son caractère impermanent, dépendant des causes et des conditions, de son état à l’instant. Nous sommes conscients que notre mental n'est pas affecté par la cupidité, la colère ou l'ignorance, les souillures, les habitudes ou les tendances latentes. Il est totalement pur, même si nous observons et méditons sur le Dharma, car il s’agit du mental vrai, de la conduite éthique des bhikkhus.
- Bhikkhus, ne racontez pas d'histoires sur les animaux, sur les rois, sur les voleurs, sur les grands ministres, sur les soldats, sur la terreur, sur la guerre, sur la nourriture, sur les boissons, sur les vêtements, sur le lit de sommeil, sur les couronnes de fleurs, sur les épices, sur les parents éloignés ou proches, sur le voisinage, sur la circulation, sur les villes, sur les pays, sur les femmes, sur les hommes, sur les héros, au bord de la route, au point d'eau, sur les défunts, sur les choses futiles, sur les changements du monde, sur les changements de l'océan, sur l'existence et la non-existence. Pour quoi?
"Ces histoires ne mènent à rien, ne sont pas la base d'une conduite pure. Elles ne mènent pas au lâcher-prise, à l'abandon et à la cessation des désirs, à l'éveil, au Nirvana. Si vous voulez raconter quelque chose, bhikkhus, racontez l'histoire de la "Souffrance", du "Chemin qui mène à la fin de la souffrance..." Saṃyutta-nikāya V, recueil, page 609. (S.V. 149)."
"Et comment un bhikkhu est-il un sage ? Il est séparé des mauvais états d'esprit, de ceux qui ne sont pas bénéfiques, de ceux qui souillent, de ceux qui conduisent à la réincarnation, de ceux qui causent des difficultés, de ceux qui mûrissent dans la souffrance et de ceux qui conduisent dans l'avenir à la naissance, au vieillissement et à la mort. C'est ainsi qu'un bhikkhu est un sage."
« Et en quoi un bhikkhu est-il un arahant? Les mauvais états d'esprit, ceux qui ne sont pas bénéfiques, ceux qui souillent, ceux qui conduisent à la réincarnation, ceux qui causent des difficultés, ceux qui mûrissent dans la souffrance et ceux qui conduisent à la naissance, au vieillissement et à la mort futurs, sont loin de lui. C'est ainsi qu'un bhikkhu est un arahant. » Mahassapura sutta.
En résumé : une simple "vue" innocente, sans effort, sans encadrement, sans technique d'exercice, sans thème d'exercice, sans nécessité de s’asseoir en posture semi-lotus, sans contrainte horaire, juste une observation pure, ouvrir les yeux et percevoir l'objet tel qu'il est. Que ce soit, en conscience verbale ou non verbale, l’esprit reste pur, calme et objectif. Il s’agit du mental vrai, dans lequel les préceptes, la contemplation, le samatha, le samadhi et la sagesse sont pleinement présents. Les trois bouddhas du temps (le bouddha du passé, le bouddha du présent et le bouddha du futur) ont aussi enseigné ce "mental vrai’’ qui est inconditionné, non né, et donc indestructible et immortel.
"Ne jamais faire de mal
Faire la charité tout le temps
L'esprit bien purifié
Tel est l'enseignement des bouddhas."
Ainsi chers amis, la "vue naturelle" n'est-elle pas merveilleuse? Bien sûr, l'ouïe naturelle et le toucher naturel sont tout aussi merveilleux.
Monastère principal, le 9/3/2024
TN
Lien vers l'article en vietnamien : https://tanhkhong.org/p105a4088/triet-nhu-tieng-hat-giua-troi-bai-46-cai-thay-tuyet-voi
Traduit en français par Marc Giang, relu par Tuệ Tỉnh.